Décès de Ludovic Booz, une perte majeure
Maître fondeur, dernier spécialiste haïtien du coulage à la cire perdue, sculpteur et peintre, Ludovic Booz est né à Aquin le 9 avril 1940. Très jeune, il s’est formé le regard en visitant à la Rue de la Réunion l’atelier de Normil Charles, célèbre sculpteur, boursier du Gouvernement Florvil Hyppolite (1892) et prix de la sculpture de l’Académie Julian (1908). La soif d’apprendre conduit Ludovic Booz à fréquenter les hauts lieux de formation artistique de Port-au-Prince. En 1960, il fait partie de la première promotion de l’Académie des Beaux-Arts. Parallèlement, il fréquente le Centre d’Art où il suit les enseignements du peintre Antonio Joseph, pratique le modelage avec le sculpteur d’art religieux Paul Desmangles, poursuit son initiation à l’atelier – galerie Red Carpet avec François Sanon, sculpteur baroque du bois. Pour exprimer ses liens forts avec le bois, Ludovic Booz avait coutume de répéter: “le tambour avant d’être un instrument de musique est une sculpture, une sculpture qui résonne“.
En 1965, après avoir été formé en dessin, perspective et composition par Géo Ramponeau, Booz sort diplômé en fonderie et sculpture de l’Académie des Beaux-Arts. Le peintre Simil nous a confié qu’en fait de savoir académique, Booz a été l’héritier direct du directeur Amerigo Montagutelli, un modèle d’exigence professionnelle. Sous cette impulsion, Booz est passé maître de la stylisation en sculpture, participant de la construction d’une nouvelle identité visuelle.
De l’Académie sortira toute une génération d’artistes : Rose-Marie Desruisseau, Georges Paul Hector, Émilcar Similien dit Simil, Bernard Séjourné, Jean-René Jérôme, Emmanuel Pierre-Charles… À cette époque, les ateliers d’artistes étaient devenus lieux d’échange et de partage dans une capitale de plus en plus sombre où la norme était le silence et la suspicion.
Ludovic Booz a été avec Georges Laratte un des seuls à sculpter le marbre. “Pour le marbre, disait-il, après avoir un jour visité l’atelier du marbre industriel au Ministère des mines, j’ai appris seul dans les livres. J’ai pu exploiter cette matière différemment du modelage. J’en ai tiré une expression plus moderne, le marbre étant doux et rigide à la fois.”
Booz a contribué en outre de manière significative à façonner le paysage urbain (statue de l’Indien, statue à la Paix, buste de Dumarsais Estimé, de Hector Hyppolite sur les places de Port-au-Prince, de Magloire Ambroise à Jacmel…) Manifestant un fort intérêt pour les artistes qui ont marqué leur temps, il a exécuté sans en attendre la commande les bustes de André Pierre, Philomé Obin, Jean-René Jérôme, Nemours Jean-Baptiste, Achille Paris,…
Concerné par l’Histoire, il a notamment réalisé les bustes des fondateurs de la Nation et de Charlemagne Péralte, sur l’extermination des Juifs, l’exécution du sénateur Yves Volel… Ses œuvres font partie des collections publiques (Palais National, Mupanah, ONA, BRH…) et privées. Lors de son dernier séjour au pays, il a travaillé à achever le monument “Hommage aux disparus du 12 janvier”, une commande de la Banque de la République d’Haïti.
Ludovic Booz a enseigné la sculpture et l’art de la fonderie dès l’ouverture de l’Ecole Nationale des Arts en 1983. Il eut un dernier rêve, la construction à Merger d’une école-résidence consacrée à la sculpture. Il est mort le 2 février 2015 en Floride sans être parvenu à la faire fonctionner. Ce décès d’un être sensible et concerné par tout ce qui touche à la vie de la société haïtienne, nous laisse désemparés avec un vide difficile à combler.
Les Ateliers Jérôme
Fondation Culture Création
7 février 2015